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En République démocratique du Congo, 3 conditions préalables de la foresterie communautaire réussie

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En 2016, avec le soutien du Programme Régional pour l'Environnement en Afrique Centrale _de l'Agence des Etats-Unis pour le Développement International, le WRI a collaboré avec le Ministère de l'Environnement et du Développement Durable en République démocratique du Congo (RDC) et d'autres partenaires afin de faire adopter de la législation sur la foresterie communautaire. Lauren Williams, Theodore Trefon et Theo Way ont fait le voyage au Nord Kivu pour écouter les avis des habitants de la région sur la nouvelle loi.

Après un atterrissage agité sur une piste autrefois en dur, nous sommes arrivés à Beni, ville du Nord Kivu, province du nord-est de la République démocratique du Congo et parmi les plus instables du pays. Une fois dans la voiture, engagés sur une route bien pavée et bordée d'arbres, nous nous sommes bientôt trouvés devant le genre de paysage pour lequel le Nord Kivu actuel est tristement connu, beaucoup plus que pour ses forêts et exploitations agricoles : un convoi de véhicules blindés onusiens, un rappel brutal du conflit de faible intensité entre des milices, des rebelles et l'armée congolaise qui dure depuis des décennies.

Face à cette perspective funeste, nous avons fait le bilan du progrès dans un domaine autrement prometteur: une nouvelle loi qui permet aux communautés d'obtenir le droit légal à leurs forêts.

La foresterie communautaire, saluée depuis longtemps comme une stratégie qui permet de réduire la pauvreté et renforcer la conservationen habilitant les communautés à gérer directement leurs ressources forestières, est néanmoins une expérience récente en RDC. Dans les deux ans qui ont suivi l'adoption par la RDC de sa loi sur la foresterie communautaire, le WRI et son partenaire local, le CODELT , ont lancé une série d'outils et de lignes directrices pragmatiques pour aider les communautés et les autorités à naviguer le processus de candidature.

<p><em>Le transport dans le bassin central du Congo est compliqué par d\'innombrables points de traversée comme celui-ci dans la province de Tshuapa. L\'acheminement des biens et des personnes à destination et en provenance des marchés constitue un énorme défi de développement. Photo de Theodore Trefon</em></p>

Le transport dans le bassin central du Congo est compliqué par d'innombrables points de traversée comme celui-ci dans la province de Tshuapa. L'acheminement des biens et des personnes à destination et en provenance des marchés constitue un énorme défi de développement. Photo de Theodore Trefon

Au moment où nous écrivons, 34 concessions forestières communautaires ont été attribuées dans trois provinces. Toutes ces concessions sont soutenues par des ONG internationales de défense de l'environnement ou des partenaires de la société civile locale, les communautés elles-mêmes manquant des ressources financières ou connaissances en matière de gestion nécessaires pour mener à bien ce processus. Etant donné la complexité du processus et les nombreux intermédiaires impliqués, il n'est pas facile de s'assurer que les initiatives de foresterie communautaire défendent bien les intérêts des bénéficiaires prévus.

Au moins neuf sites de foresterie communautaire sont proposés dans le Nord Kivu, mais jusqu'à présent aucun titre n'a été attribué. Sur la base de nos expériences dans la province, nous avons identifié trois conditions préalables d'une foresterie communautaire réussie.

1. Une bonne compréhension de la dynamique communautaire locale

Dans une école délabrée de la périphérie de Beni, nous avons rencontré une demi-douzaine d'anciens du village pour faire le point des progrès réalisés en matière de leur demande de créer et gérer une concession de foresterie communautaire. Ils avaient manifestement été bien informés sur le processus par les organisations partenaires et citaient des articles précis du Code forestier. Ils ont également fait écho d'un constat dont d'autres personnes dans le Nord Kivu nous ont fait part: la loi constitue une excellente occasion pour s'assurer du respect des droits fonciers.

Toutefois, le concept du régime foncier sûr est miné par de nombreuses imprécisions. Dans des régions comme le Nord Kivu, densément peuplées par différents groupes ethniques, il n'est pas aisé de définir qui fait partie de la communauté et qui n'en fait pas. En l'absence d'une supervision adéquate, les concessions de foresterie communautaire pourraient servir à exclure des groupes vulnérables et accentuer les tensions locales. Ce défi n'est pas nouveau dans le Nord Kivu; lors d'une mission antérieure dans la province de Tshuapa, quand on a demandé aux participants aux groupes de discussion pourquoi ils voulaient présenter une demande de forêt communautaire, ils ont répondu, "Pour nous protéger de nos voisins."

Les ONG qui soutiennent la foresterie communautaire doivent donc bien comprendre la dynamique sociale et quels acteurs sont jugés des décideurs et utilisateurs légitimes des ressources. La cartographie détaillée des réseaux sociaux au sein des et entre les communautés voisines et la création d'un processus fiable de consentement préalable, libre et éclairé sont les premiers pas vers le renforcement de la confiance de la communauté.

2. Une identification précise des droits fonciers et relatifs aux ressources

La demande des terres dans le Nord Kivu contraste nettement avec les titres déjà attribués dans la province de Tshuapa—où la densité démographique est beaucoup plus faible et la migration moins fréquente—qui frôlent la superficie maximale prévue pour les forêts communautaires, soit 50 000 hectares. Un informateur nous a indiqué que la forêt communautaire proposée de sa communauté est de 2 600 pour une population d'environ 7 600 personnes — soit environ le tiers d'un hectare par personne. Il n'y a pas suffisamment de terres pour supporter les pratiques agricoles traditionnelles, et même la propriété foncière coutumière est souvent disputée entre les habitants d'un village et les élites, qui vendent les terres à des non-habitants, tels que les exploitants forestiers et miniers artisanaux.

La cartographie participative des utilisations des terres, exercice dans lequel les communautés créent des cartes de leurs terres, avec les limites et utilisations de celles-ci, est déjà exigée dans le cadre du processus de foresterie communautaire. Les groupes qui accompagnent les communautés dans cette cartographie doivent s'assurer qu'elle identifie les droits de propriété et d'utilisation, les relations entre les différents utilisateurs des ressources et les zones contestées.

3. Une évaluation de la faisabilité économique

Les forêts communautaires en RDC peuvent être gérées à des fins multiples, notamment l'exploitation forestière à petite échelle, l'exploitation de produits forestiers non ligneux, l'agriculture de subsistance et la conservation. Si la majorité des personnes interviewées nous ont indiqué leur intention de réaliser des projets économiques à petite échelle dans le cadre de leurs activités au sein de la forêt communautaire, elles ont également évoqué la conservation comme un objectif principal.

Toutefois, nos discussions ont également révélé un manque de réflexion à la question de comment ces activités de conservation ou d'autres projets à petite échelle vont générer des revenus pour les ménages. La majorité des communautés et des organisations qui les soutiennent se concentrent sur la première étape : l'acquisition des droits fonciers. Mais pour que la foresterie communautaire vaille le temps et l'effort et fournisse des sources de revenus viables, il faudra réaliser des études économiques. Sauter cette étape peut miner le processus.

En conséquence, nous préconisons que les groupes qui appuient la foresterie communautaire identifient des opportunités de création de richesse ou effectuent des évaluations de faisabilité des différentes options en matière de gestion. Cela permettra aux communautés de prendre des décisions éclairées sur les opportunités et les coûts avant de présenter une demande ou de fixer un objectif de gestion.

<p><em>Groupe de discussion sur les droits et responsabilités communautaires dans la Réserve Lomako, province de Tshuapa. Photo de Theo Way Nana</em></p>

Groupe de discussion sur les droits et responsabilités communautaires dans la Réserve Lomako, province de Tshuapa. Photo de Theo Way Nana

De l'espoir pour l'avenir

La foresterie communautaire a suscité à la fois de l'enthousiasme et du scepticisme. Seul le temps nous dira s'il s'agit d'une tendance passagère ou d'une solution à long terme qui permettra de renforcer les moyens de subsistance tout en gérant les forêts de manière durable. Une chose est claire, pourtant: l'opportunité qui se présente aux communautés d'avoir leur mot à dire sur l'avenir de leurs terres est inédite et significative. Beaucoup de Congolais et de leurs partenaires dans le domaine vont de l'avant avec la certitude qu'il vaut mieux essayer et trébucher que d'abandonner l'espoir de prendre le contrôle des ressources naturelles extraordinaires que possède leur pays, nonobstant le contexte de conflits et de défis.

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